Résister au désastre
Isabelle Stengers
Ce petit livre est une invitation à entrer dans l’univers d’une des plus importantes philosophes écoféministes de notre temps. Un univers aux ramifications multiples, où la pensée navigue entre les cases.
Un torrent d’écologie et de liberté qui donne des pistes pour transformer l’action et dépasser nos enfermements.
On en parle
Que peut-on fabriquer aujourd’hui qui puisse être éventuellement ressource pour ceux et celles qui viennent ? : cette question contient pour moi toute ta pensée, et j’aimerais en tirer quelques fils, comme autant de propositions, sinon de réponses à cette dernière.
Sommaire
Avant-propos de Marin Schaffner
Dialogue avec Isabelle Stengers
Postface dʼÉmilie Hache
Bonus
Avant-propos de Marin Schaffner
J’ai rencontré Isabelle Stengers à Bruxelles pour un livre d’entretiens sur l’écologie que je réalisais à l’occasion des dix ans des éditions Wildproject. Il s’agissait de faire un état des lieux des pensées de l’écologie en langue française, dans un contexte paradoxal d’effervescence théorique et d’intensification des ravages planétaires. Nous avons passé l’après-midi, dans son salon, à retracer les origines et les ramifications de cette « écologie des pratiques », qu’elle a forgée – dans le sillage de Gilles Deleuze et Félix Guattari – à partir de plusieurs décennies de philosophie critique des sciences.
Cette rencontre avec une penseuse hors-norme, atypique et sensible, a été pour moi l’occasion de confronter mes jeunes convictions à un écosystème d’idées d’une profonde sagesse. Du haut de mes 28 ans, formé à la littérature et l’ethnologie, militant de toujours et bercé d’écologie, je savais partager avec Isabelle Stengers nombre de perspectives sur le monde, et j’avais dans le même temps une foule de questions à lui poser. Notre conversation a ainsi largement débordé du nombre de pages prévues dans Un sol commun.
Le texte qui suit est à la fois un voyage, une promenade et une immersion dans la philosophie profondément écologique et radicale d’Isabelle Stengers. Les cadres de pensée depuis lesquels elle observe le monde sont loin d’être habituels. On pourrait même dire qu’ils sont déroutants – souvent à dessein. Car la philosophe belge, si elle a passé sa vie universitaire à déconstruire les prétentions autoritaires de la science occidentale moderne, est également une « intellectuelle en lutte », solidaire des mouvements sociaux émancipateurs, écoféministe de longue date et critique anticapitaliste des désastres écologiques en cours.
L’écologie qu’elle revendique est donc nettement plus complexe que celles, plus visibles, du « développement durable » ou encore de « l’Anthropocène ». C’est une écologie qui s’infiltre dans tous les champs de la vie, humaine et non humaine. Une écologie de la rencontre, qui brouille toutes les frontières et empêche les « modes automatiques par défaut ». Une écologie de l’action qui, en cascade, pousse à penser autrement, transforme les représentations, rebat les cartes de nos mondes, fournit des amulettes face à la catastrophe.
Écologie, philosophie des sciences, écoféminisme, éthologie, science-fiction, luttes sociales : il ne s’agissait pas tant d’interroger Isabelle Stengers que de faire résonner les principaux champs qui composent l’univers d’une des grandes penseuses de notre temps.
« Sommes-nous la nature qui se défend ? » Isabelle Stengers se positionne sur la crête de ce type d’interrogations fondamentales, et nous offre en creux, avec une délicatesse subversive, des outils pour repeupler nos territoires, physiques et mentaux, de plus en plus dévastés.
Tout contre la barbarie qui gronde, la pensée d’Isabelle Stengers ouvre la voie à une autre compréhension de l’enchevêtrement des problèmes, ainsi qu’à la beauté complexe de tout écosystème – qu’on appellera ici, avec elle, terrain de vie.