Marseille en procès

La véritable histoire de la délinquance marseillaise

Michel Samson

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Marseille en procès

La véritable histoire de la délinquance marseillaise

Michel Samson

À partir de Marseille

janvier 2017

978-2-707-176-332

224 pages

17 €

14 × 22 cm
En coédition avec La Découverte

Marseille, capitale du crime en France : une réputation (presque) mondiale. Les délinquances y seraient bien plus nombreuses et plus graves que dans les autres villes françaises. Y prospéreraient de puissants réseaux bénéficiant de la complicité de décideurs politiques locaux, impliqués dans divers trafics. Et supposés suffisamment influents pour que police et justice soient à leurs ordres. Marseille serait ainsi gangrenée par une mafia qui en tiendrait les commandes.

Enquêtant au quotidien depuis des décennies sur les réalités marseillaises, Michel Samson a voulu savoir comment ce mythe – car c’en est un – a pu naître et, surtout, pourquoi il reste si vivace. D’où une nouvelle enquête, dont rend compte ce livre au ton vif, truffé d’informations. Après avoir décortiqué les ressorts d’une légende construite depuis les années 1930 par des centaines de films, de livres, d’articles et d’émissions, l’auteur raconte cette réalité à partir d’un observatoire privilégié : le palais de justice de Marseille, où sont jugées les personnes accusées des délits et des crimes qui s’y commettent – et d’autres aussi…

On y découvre les « comparutions immédiates », qui jugent à la chaîne les délinquants ordinaires, comme ailleurs en France : voleurs de voitures, conducteurs sans permis, vendeurs de shit, chefs de réseau, escrocs divers… Une autre délinquance parle d’escroqueries d’ampleur ou de détournements de fonds publics, là aussi comme ailleurs. Et devant les assises, comparaissent enfin les auteurs de crimes. De « règlements de comptes » notamment, dont on découvrira que, contrairement au cliché médiatique, ils sont moins nombreux aujourd’hui qu’hier. En bref, une entreprise de démystification aussi instructive que salutaire.

Sommaire

Introduction
Au palais de justice : la vraie Marseille délinquante

Remerciements

1 Des clichés aveuglants
La « légende » marseillaise au cinéma
Des livres « noirs » contre l’histoire
Le « moment Carbone » de 1934
French Connection, 1971 : les clichés rebondissent
La rumeur, piège à journaux

2 Délinquants loin du milieu
Les audiences encombrées des « comparutions immédiates
Ruses minables et femmes battues
La triste routine des misères agressives – La délinquance ordinaire des « sans » – Les chiffres des comparutions immédiates : Marseille est « dans la norme »

3 Escroqueries en tous genres
Les mystères de la « chambre des escrocs »
Une affaire (obscure) à 2 millions d’euros
À propos du procès de Sylvie Andrieux : l’escroquerie du clientélisme et la presse
Des comptes rendus médiatiques imprécis, voire mensongers
Les leçons des cent quatre-vingt-cinq pages de jugement du procès Andrieux de 2013
Les peines et leurs raisons

4 Cannabis à tous les étages
L’importance de la mise en scène de la justice : du petit trafic du Panier
… au procès vedette de « La Castellane »
Les effets du suivi (inévitablement) épisodique du procès
Le silence des accusés et le poids des rumeurs
Nordine Achouri : les paroles d’un chef
La justice sanctionne le « réseau de la tour K » et non « Marseille, La Castellane »

5 Nouveaux et anciens trafiquants
Naissance du trafic : le « communautarisme » n’explique rien
Une autre vision des trafiquants
Les anciens « parrains » médiatiques
D’étonnantes ressemblances, des ambiances différentes

6 Juger un règlement de comptes
2015, le procès d’assises d’un atroce « barbecue marseillais » : une mise en scène bien réglée
Témoins absents ou silencieux
Colère d’un père, silence des témoins
L’impossible récit
Après les assises
Moins de règlements de comptes

7 Une justice apolitique pour des acteurs politiques
Décembre 2015, Hacen Boukhelifa contre Marie-Arlette Carlotti : socialiste contre socialiste – Une « formulation maladroite »
Syndicalistes au tribunal : FO contre FO !
« Les juges ne font pas de politique »
Quand les acteurs politiques utilisent la justice : l’amère leçon du procès de Charles Boumendil
Le noble étage du conseil général

8 État d’urgence, terrorisme et hooligans
Le poids de l’état d’urgence
« Kalacher » les juifs
« Loi El Khomri » : des manifestants au tribunal
Une agression antisémite ?
Euro 2016 : la politique active de la justice debout

9 Les délinquants venus d’ailleurs
L’ascension par Marseille…
Mai 2013 : des noms « mafieux » qui parlent au procès marseillais du Cercle Concorde
… sans rapport avec la délinquance marseillaise
Le « procès Castella » de 2013 : des prévenus corses, espagnols, niçois et italiens pour un procès marseillais
Quand le parrain « Tony l’anguille » replonge

10 Dépasser les légendes
Quand se combinent grandes et petites délinquances
Les délinquances banales des acteurs politiques locaux
Le risque de la « mauvaise réputation »
Gaston Defferre et Nick Venturi
La légende et le réel, un étrange mélange

Bonus

Extrait

Marseille est habituée depuis longtemps à créer des légendes noires. Dès 1881, l’inventeur de Tartarin de Tarascon, Alphonse Daudet, racontait l’ascension de la « mafia méridionale » dans son roman Numa Roumestan, à travers celle d’un « menteur professionnel, sans conviction politique ». Image qui sera bien utile au général Joffre plus de trente ans après : il expliquera l’effondrement de son plan de campagne d’août 1914 en faisant savoir au journal Le Matin que le « recul en Lorraine » était le fruit de la « lâcheté des Méridionaux du XVe corps ». Alors qu’il était bel et bien dû à l’état-major de l’armée française, lequel avait tablé sur l’« élan généreux de l’infanterie », les « pantalons rouges », quand l’état-major allemand jouait sur la nouvelle façon de faire la guerre en utilisant d’abord l’artillerie lourde.

Depuis lors, d’innombrables livres ont de même faussement « documenté » la légende de la « Marseille délinquante » (même si une partie de leur contenu reste souvent bien informée) : Bandits à Marseille (1968), Quai du Belge (2001), La Saga Guérini (2003), Les Parrains de la Côte (2007), L’Immortel (2008), Marseille mafias. Ce que personne n’ose dire (2012), Ordures Connection (2012), Marseille ma ville (2013), Marseille le roman vrai (2016) – mieux vaut arrêter là une liste interminable… Ces ouvrages sont presque toujours l’oeuvre de journalistes, eux-mêmes victimes de ces croyances dont nombre de policiers qui les informent sont aussi des porteurs convaincus. Au moins quand ils parlent aux plumitifs. L’affaire est plus grave quand les auteurs sont des spécialistes dont on attend plus de sérieux sur le sujet. Ainsi de l’éminent historien américain Alfred William McCoy (né en 1945), professeur d’histoire du Sud-Est asiatique à l’université du Wisconsin à Madison. Son livre The Politics of Heroïn in Southeast Asia, publié en 1975, est une somme universitaire peu contestable. Pourtant les passages concernant Marseille sont issus de livres écrits par des journalistes (notamment le journaliste sportif Eugène Saccomano, dont les compétences concernaient d’autres domaines) et reprennent des erreurs dont des recherches contemporaines ont montré qu’elles relevaient de caricatures de l’histoire.

Cette vision légendaire du réel devient plus embarrassante encore quand elle est reprise par un procureur de la République française, comme Jacques Dallest, qui en a fait son miel dans un livre publié en 2015. Dans un chapitre intitulé « Tueries à Marseille », cet homme de justice qui a officié cinq ans à Marseille (de 2008 à 2013) y recycle quelques poncifs pour décrire une ville qu’il prétend pourtant bien connaître. Il écrit ainsi qu’à la fin du XIXe siècle, « la bande dite des Étrangleurs faisait régner la terreur dans les rues », affirmation pour le moins hasardeuse : on vivait à peu près normalement à Marseille à cette époque. Cette vision historique approximative l’animait-elle déjà quand il déclarait à chaud, en novembre 2010, à la cité du Clos La Rose (XIIIe arrondissement) où un adolescent de seize ans venait d’être tué d’une rafale de Kalachnikov : « On n’est plus à Marseille, on est dans les favelas de Rio » ?