Le Loup et le Musulman
L’islamophobie et le désastre écologique
Ghassan Hage
Dans un monde régi par la domestication, le loup et le musulman apparaissent comme deux grandes figures fantasmatiques menaçant la « civilisation ». Ils ne respectent pas les frontières nationales, qui garantissent le maintien de l’ordre colonial.
Pour Hage, le crime écologique et le crime racial reposent sur la même volonté de « gouverner l’ingouvernable ». Parce qu’on ne gouverne ni les âmes, ni le climat, islamophobie et géoingénierie sont deux avatars de la même illusion domesticatrice – aux conséquences également funestes.
« Dans l’imaginaire collectif occidental, les figures du loup et du musulman, ou plus généralement de l’Arabe ou du migrant, ont en commun de représenter une menace pour l’ordre établi : ils sont vus comme des éléments ingouvernables. »
On en parle
Dans sa prose mordante, Ghassan Hage nous offre ici une critique des connexions internes entre racisme et spécisme dans leurs expressions contemporaines : c’est-à-dire l’islamophobie et la catastrophe écologique planétaire.
Hage, avec son talent pour mettre en lien des éléments apparemment disparates, fait apparaître ce que nous ne voyons pas.
Un livre original et fondateur.
Pour Hage, la crise raciale et la catastrophe écologique constituent une même crise. Un essai percutant, limpide et novateur.
Sommaire
Introduction
- Lʼislamophobie et le devenir-loup de lʼautre musulman
- Lʼislamophobie et la dynamique de surexploitation écologique et coloniale
- Les structures élémentaires de la domestication généralisée
Conclusion. Négocier avec le loup
Postface de Baptiste Morizot
Bonus
Extrait
Le multiculturalisme et l’assimilation sont les deux grandes politiques par lesquelles l’Occident régit aujourd’hui l’intégration sociale de l’autre culturel en son sein. La figure du musulman se démarque car ces politiques ne semblent pas fonctionner avec lui. Dans de nombreuses régions du monde, le multiculturalisme est vu comme l’alternative à l’assimilation monoculturelle. Dans une certaine mesure, c’est effectivement le cas. Mais cela masque aussi le fait que, pour pouvoir atteindre son objectif, la gouvernance multiculturelle dépend de la tendance à l’assimilation existant au cœur même de la société. La littérature gouvernementale occidentale sur le multiculturalisme loue la diversité, mais s’assure, avec un « mais » ou un « tant que », que personne n’oublie que la diversité ne doit pas nuire à la cohésion nationale, aux valeurs fondamentales, etc. Ainsi, l’assimilation reste la technique disciplinaire déployée pour s’assurer que les différentes cultures intégrées dans le giron multiculturel valent la peine d’être « intégrées et de participer au multiculturalisme ». (…) Je précise en direction de ceux qui aiment la polémique que je ne juge pas cette politique mauvaise pour autant. Il est possible que cette association de multiculturalisme et d’assimilation soit la politique la plus adaptée qu’un gouvernement puisse choisir. Il n’en reste pas moins, si l’on pousse l’analyse, que l’efficacité gouvernementale de ce dispositif combiné multiculturel-assimilateur repose sur la nécessité de favoriser une dichotomie idéologique entre ces deux éléments. Ce qui a marqué la relation entre ce dispositif et l’autre musulman, c’est que dans de nombreux cas aucun des deux volets n’a fonctionné.
Le premier élément qui a amené à considérer les « musulmans » comme extérieurs au domaine multiculturel, c’est l’existence parmi eux d’un nombre conséquent et croissant de personnes pieuses. Être pieux ne signifie pas seulement aller fréquemment à la mosquée ou avoir des croyances religieuses fortement ancrées. Avant tout, cela signifie considérer que tous les aspects de sa vie quotidienne sont régis par les lois divines. C’est cette forme de religiosité, particulièrement parce qu’elle n’est pas chrétienne, qui constitue une négation sérieuse de la logique du multiculturalisme. Le multiculturalisme peut être défini comme la capacité à laisser une place à des éléments mineurs de « la loi de l’autre » au sein de la loi nationale dominante – ici, je n’entends pas forcément « loi » dans un sens formel, bien que cela se pourrait, mais plutôt dans une conception anthropologique de la loi comme étant « la manière de faire les choses ». Cela constitue ce qu’on peut appeler une relation d’inclusion. La loi dominante ouvre un espace au sein duquel la loi de l’autre peut être intégrée dans la loi nationale. Ce qui est intégré peut varier en termes de contenu et d’ampleur, mais ce qui ne peut pas changer, c’est que la culture nationale dominante doit être la culture intégrante.